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Rosebeude - Monde de merde.
30 avril 2010

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Quand il pleuvait il fallait rester dans la cabane derrière la maison.

Ca sentait toujours drôle dedans, comme du plastique sucré. Il faisait tout blanc, le toit était en plastique un peu transparent, d'où la lumière et l'odeur. C'est là qu'ils rangeaient les poussettes du bébé. Y'en avait beaucoup, et pourtant il n'y avait qu'un seul bébé. Avec le frère on était enfermés là-dedans tant que la pluie tombait, et en Normandie autant vous dire qu'elle tombait longtemps.

C'est parce qu'on chahutait trop quand on était dans la maison, et le chef aimait pas qu'on fasse du bruit, sinon il nous courait après et il nous criait dessus comme un sergent. Je ne l'aimais pas du tout. Autour de lui y'avait de la violence et de la peur, et quand il était là c'était comme un baril de poudre autour duquel fallait surtout pas faire des étincelles. La dame russe qui était mariée avec lui était plus gentille, mais elle était faible. Même petite je voyais sa faiblesse, c'était une maison sans amour et ça se sent quand on est gosse.

On parlait le russe dans mon enfance, c'était la langue de mon monde. Maman avait choisi ça comme ça, comme elle aurait pu choisir l'allemand ou l'anglais, mais elle est russe dans le sang plus que tout. Quand on n'a pas d'origine stable on doit bien s'accrocher à une partie de notre héritage, sinon on risque de ne plus savoir qui on est.

Une enfance en russe c'est différent. C'est comme si j'avais grandi dans un pays entre la France et la Russie, entourée des Etats-Unis et de l'Allemagne parce qu'on parlait ces langues aussi dans la famille. En fait j'aurais pu grandir à Berlin sous l'occupation et on aurait été débarrassés. Mais je suis née à Versailles, parce que ma mère pensait que Paris n'était pas assez bien pour moi et mon frère. Alors de Versailles je suis allée à Paris comme un bébé roi (je suis sûre que maman a fait exprès, je la connais), et j'ai vécu dans le Marais, ce qui à l'époque n'était pas forcément grand-chose. 

Après j'ai vécu à Autun, dans une maison que Babulia ma grand-mère habite encore aujourd'hui, pendant un mois, puis dans le Marais, encore. C'est là que mes parents on décidé de partir à Washington. Même les américains veulent le rêve américain apparemment. J'ai trop bougé quand j'étais petite. C'est notre côté gitan, notre côté apatride qui ne tient pas en place, le monde est à nous mais on est chez nous nulle part. Je ne me souviens de rien, sauf de l'avion je crois, mais je ne suis pas sûre c'était il ya trop longtemps et j'étais trop jeune.

Le seul souvenir visuel que j'ai de ma très jeune enfance c'est d'être dans les bras de ma mère dans un bus avec des sièges verts et d'attirer l'attention vers moi par le simple fait d'exister, et ça c'était genial. Mon père a pas tenu et est retourné en France, et maman l'a suivi. Alors je suis redevenue française encore et je suis restée pour de bon.

C'est à peu près à cette époque que le frère est né. Quand t'es balloté dans tous les sens et qu'après y'en a un deuxième qui arrive, c'est dur de se sentir bien dans la vie. T'as un peu l'impression d'être tombé du ciel et qu'on a du faire avec toi, qu'on t'aime bien mais bon chut. C'est le truc qui te marque à vie si tu ne fais pas gaffe. Et ça a marqué la mienne c'est pour ça que j'en suis là à devoir écrire pour mettre de l'ordre dans ma mémoire.

Sinon je meurs.

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