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Rosebeude - Monde de merde.
3 mai 2010

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Mon enfance a eu un autre goût après ça. Avant, il y'avait mon parrain Diadia Genia, qui était vieux et que je trouvais beau, malgré les cernes, avec maman il m'avait offert une robe de princesse bleue parce que j'arrivais enfin à rouler les r. Avant, il y avait Judith ma sœur de lait, sa maman était morte suicidée et je devais bien m'occuper d'elle. Elle avait une girafe bleue et blanche et elle était plus petite que moi, et je les aimais elle et son père comme des personnes de ma famille. Avant, il y'avait les nourrices russes, une fois j'ai dormi chez une russe rousse qui avait un enfant métis, dont j'étais un peu amoureuse. Elle nous lisait des contes éternels en projetant des diapositives sur le mur, et ces histoires avaient un goût, un parfum et une texture. Et je dormais heureuse là-bas.

Une autre était grande, blonde et intelligente, mais j'ai oublié son nom. On m'a toujours dit que je l'adorais plus que tout. Et il y avait Lydia, qui était faible, aussi. Je n'aimais pas cette femme, elle me faisait pitié. Je déteste ce sentiment. Elle pleurait souvent et je me suis toujours dit qu'un adulte consolé par des enfants c'était pathétique. Lydia était fragile et elle portait des lunettes, ce qui donnait l'illusion que derrière, son visage aurait pu être beau.

Avant l'enfance avait un goût de confiance et de lait, et j'étais mieux comme ça, mais je suis revenue et mes souvenirs ont pris une autre couleur.

Après tout ça tout a pris une odeur de plastique. Y'a des parties de ton enfance dont t'as pas le droit de te plaindre mais qui n'en sont pas moins âcres, et tu ne te rends pas compte quand tu le vis jusqu'au jour où tu fais le point et tu sens que quelque chose s'est mal passé pour toi. J'ai souvent changé d'école mais pas de quartier. A cette époque-là on vivait dans le IXe, rue de Bruxelles. Et j'ai fait trois écoles en partant par le bas, à St-Lazare. La première dont je me souviens est le cours ATMER. C'était apparemment la seule époque où mes résultats scolaires furent à la hauteur de qu'on attendait de moi, et on m'en a longtemps parlé, mais sans pouvoir me remettre à ma place d'écolière parfaite dix sur dix et tableau d'honneur en prime. J'étais si petite que je me souviens à peine de cette époque, j'avais quatre ans comme en Normandie et je m'endormais en cours, du coup je faisais n'importe quoi et j'étais toujours à côté de la plaque. J'avais un très joli manteau vert et je l'ai perdu, maman était furieuse, mais moi fallait pas me parler à cette époque, je vivais dans un autre monde, un monde très silencieux où les paroles entraient par une oreille et sortaient par l'autre comme ça après c'était vide.

Je me souviens de deux enfants là-bas. La première c'était Tamara, qui était la fille d'une amie de ma mère. Je la voyais souvent le week-end et je dormais dans leur grand appartement dont même l'entrée était grande. Il y avait un tableau gris avec des rats, c'était un tableau de la mère qui était peintre et seulement peintre parce qu'elle avait visiblement les moyens. Avec le recul je me rends compte que c'était pas mal du tout, elle avait un coup de maître. Tamara avait des copines à l'école, je ne me souviens pas d'en avoir eu une seule. On ne se parlait pas beaucoup en cours mais je crois que ça ne me posait pas de problème, j'avais l'impression de ne pas être à ma place de toute manière et elle n'aurait pas arrangé les choses, Tamara était gâtée et moi non, ce qui faisait une sacré différence.

Et puis il y avait ce garçon, ce tout petit gentleman qui tomba fou amoureux de moi. Je ne sais pas trop comment il s'y est pris pour en arriver là, je regardais toujours en l'air et il était si petit que je ne l'aurais pas vu si il ne m'avait pas pris la main. Un jour, on a du être ensemble en rang pour entrer dans l'école et tout le monde nous disait qu'on était des amoureux. Moi j'étais plutôt contre et j'avais pas du tout envie de tomber amoureuse de lui, et j'étais franchement mal à l'aise de devoir tenir la main à quelqu'un qui me paraissait être un petit enfant, alors que je n'avais moi-même que quatre ans. Il était venu un matin et m'avait offert un collier de perles. C'était si somptueux que j'étais restée bouche bée, ne comprenant pas pourquoi il m'offrait ça. Flattée, je lui ai donné quelques miettes d'attention pour le remercier, puis je l'ai oublié. Un jour nous nous sommes croisé dans le métro, lui avec sa mère, moi avec ma nourrice, et il a sauté de joie dans tous les sens en me faisant des grands signes, je ne l'ai plus jamais revu après cette année-là et je ne l'ai jamais oublié.

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